Aluminium échangeable

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L’aluminium, métal le plus présent dans l’écorce terrestre (8% de sa masse, derrière l’oxygène 47% et le silicium 28%, mais devant le fer 5% et le calcium 4%), mérite bien un Agro Reporter. En agronomie, l’aluminium est surtout identifié pour la toxicité qu’il peut présenter en sols trop acides. Même si ce phénomène est surtout connu en zones intertropicales, on peut parfois le rencontrer en France. Cette toxicité aluminique fait partie des grands problèmes agronomiques mondiaux (en lien avec l’acidité et l’acidification), comme la salinité, les excès de magnésium ou l’érosion. Nous n’aborderons pas les problèmes que peut engendrer l’aluminium pour la santé humaine et animale (troubles neurologiques dans ses formes solubles ou pulmonaires dans ses formes pulvérulentes) ou pour l’environnement, même s’ils deviennent de plus en plus préoccupants.


  • L’aluminium dans les sols
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Trop réactif, l’aluminium ne se trouve, dans la nature, qu’associé à d’autres éléments. Plus de 250 minéraux en contiennent, le plus connu étant la bauxite. Ce minerai provient de l'altération de roches contenant des minéraux argileux (ou silicates d'alumine). Le climat tropical favorise cette dégradation (ce qui était le cas dans les Baux-de-Provence pendant le Crétacé, d’où le nom de bauxite). Dans le sol, on peut trouver l’aluminium sous quatre formes principales : les constituants cristallisés (minéraux argileux), les constituants amorphes (hydroxydes, oxydes, silicates alumineux), les constituants incorporés ou chélatés dans la matière organique et les constituants adsorbés plus ou moins fortement sur les complexes, (Al3+ , Al(OH)++, Al(OH)2+). Ce dernier groupe, le plus mobile, va être en relation avec les racines des plantes et intéresse donc l’agronome. On connaît depuis 1904 par les travaux de Veitch (cité par P. Segalen, 1973) la propriété de l’aluminium de se fixer sous forme ionique (Al3+) sur le complexe absorbant des sols acides et son extraction possible par les sels neutres. Cet aluminium est appelé parfois aluminium actif ou mobile, mais le plus souvent aluminium échangeable (Aléch), suivant la terminologie anglo-saxonne.

L’aluminium échangeable n’existe que dans les sols acides et surtout fortement acides (J. Boyer, 1976). La lixiviation des cations, très importante en zone subtropicale à forte pluviométrie, entraîne une désaturation du complexe d’échange et l’acidification du sol. Cette acidification provoque la dissolution des minéraux et la libération des ions Al3+ qui se fixent alors sur les sites vacants du complexe.

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L’excès d’aluminium échangeable dans la solution du sol conduit à des toxicités aluminiques pour le végétal, surtout pour des pH eau inférieurs à 5. Si ce risque concerne moins de 1% des sols français, il est présent sur près de 40% des sols agricoles dans le monde (85% pour un pays comme le Rwanda, par exemple), en lien direct avec les niveaux d’acidité (source FAO).

  • Effets de l’excès d’aluminium dans les sols

L’excès d’aluminium échangeable inhibe l’activité de la microflore et d’une partie de la microfaune (champignons, bactéries) du sol, même s’il est difficile de distinguer l’effet direct de l’aluminium de celui du pH trop acide. L’aluminium présent sur le complexe absorbant du sol s’oppose, par un effet « tampon », à tout relèvement du pH tant qu’il n’est pas complètement éliminé du complexe. Ainsi, s’il n’est pas tenu compte de l’aluminium dans la politique de chaulage, les apports d’amendement calciques sont souvent très peu efficaces pour le redressement du pH. Enfin, l’aluminium extrait le potassium des sites d’échange et « appauvrit » ainsi le sol (il en est de même pour un amendement calco-magnésien mal géré). Il est par contre facilement déplacé par le calcium.


  • L’aluminium et la plante

Si pour certains auteurs l’aluminium est indispensable aux plantes, à très faible dose, il ne préoccupe que pour sa toxicité à forte dose. Cette toxicité est directe (inhibition de la croissance des racines par blocage des divisions cellulaire, voire des organes aériens) et surtout indirecte :

Complexation du phosphore sous forme de phosphates d’alumine empêchant sa migration dans la plante. Il semble que ce soit l’effet majeur des toxicités aluminiques,

Antagonisme avec le cuivre et surtout le calcium,

Synergie avec le manganèse dont il favorise l’absorption, au risque de provoquer des intoxications manganiques. De plus, comme pour l’aluminium, la solubilité du manganèse augmente en sols acides. Les toxicités manganiques et aluminiques sont souvent conjointes et difficilement dissociables.

Il n’y a pas de symptômes globalement spécifiques à la toxicité en aluminium : ralentissements de croissances, blocages, atrophies végétatives (moindre potentiel de production) et, dans les cas graves, mortalité.

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L’absorption d’aluminium par les racines est, au départ, un phénomène passif. Puis, au-delà d’une certaine concentration dans la solution, l’absorption devient proportionnelle à la quantité d’aluminium présent (G. Guerrier, 1978). Certains végétaux, comme le théier, sont capables d’absorber, sans symptômes, des quantités très importantes d’aluminium. Il n’existe pas de plantes résistantes, au sens strict, à la toxicité de l’aluminium. Les plantes calcicoles sont souvent les plus sensibles à cette toxicité alors que les plantes acidophiles sont plus tolérantes à l’aluminium. Il existe une grande variabilité génétique sur cette tolérance pour une même espèce. Par exemple, les niveaux en aluminium tolérés entre les génotypes de blé les plus sensibles et les génotypes les plus tolérants diffèrent d’un facteur 10. Ces tolérances sont souvent à déterminisme monogénique (voir plus loin).


  • L’aluminium au laboratoire

Dosage : AUREA réalise la mesure de la concentration en aluminium échangeable par dosage après extraction au KCl 1M (10 g de terre dans 50 ml de solution au KCl à 74.5 g/l) selon la méthode de Jackson. La mesure se fait au pH du sol. Dans ces conditions, seuls les ions Al3+ sont extraits, à l’exclusion des hydroxydes. D’autres solutions d’extraction peuvent être utilisées : acétate d’ammonium tamponné à pH 7, ou solution de chlorure de baryum à pH 8.1 selon la méthode Mehlich. Dans ces cas, l’aluminium extrait provient des ions Al3+ et des hydroxydes d’aluminium. Les mesures issues de deux méthodes différentes ne sont donc pas comparables.

Les laboratoires français ne pratiquent pas en routine, sur les sols continentaux, l’extraction et le dosage de l’aluminium échangeable. Cette mesure sera réservée aux cas particuliers, principalement des sols très acides. La mesure du pHeau, très liée à la teneur en aluminium échangeable permet, dans la majorité des cas, d’anticiper les risques, mais seul le dosage permet de les apprécier finement. Le pH eau n’étant pas une donnée constante de la parcelle (variation saisonnière, fonction de l’humidité du sol, …), le pH KCl lui est souvent préféré comme indicateur (IFDC, Catalist Project, Rwanda 2008) dans les régions ou pays concernés par la toxicité aluminique. Le plus souvent, il s’agit de zones climatiquement homogènes où la pluviométrie, directe ou indirecte par l’irrigation, est supérieure à l’évapotranspiration, avec un courant globalement descendant de l’eau dans le sol (K. Frenken FAO 2012). Les figures 1 et 2 illustrent ce point avec un coefficient de détermination de 68% entre le pH eau et l’aluminium échangeable, alors qu’il est de 82% pour le pH KCl sur la même série de sols provenant de la région de Bururi au Burundi. La nature et la composition des sols et leur richesse naturelle en aluminium expliquent le manque de linéarité.

La qualité de la relation entre les teneurs en aluminium échangeable, pHeau et pHKCl n’a pas été suffisamment étudiée sur les sols français pour pouvoir privilégier telle ou telle mesure du pH, malgré de nombreuses études sur les sols acides . Il n’en demeure pas moins qu’elle mériterait d’être approfondie sur les sols acides ultramarins et métropolitains, irrigués et non irrigués. On considère habituellement qu’il faut atteindre un pH eau supérieur à 5,5 pour que la quasi-totalité de l’aluminium échangeable disparaisse.


Interprétation des résultats et moyens d’actions

En agronomie, l’aluminium est surtout identifié pour la toxicité qu’il peut présenter en sols trop acides. Intéressons-nous à l’interprétation des résultats d’analyses de l’aluminium échangeable et aux moyens d’actions à disposition des agriculteurs et éleveurs dans le cas de sols très acides présentant des risques de toxicité aluminique.

  • Interprétation de la mesure

La prise en compte de la teneur en aluminium échangeable discrimine mieux les situations avec des risques de pertes de production que la mesure du pH eau, mais avec des difficultés pour calculer un seuil précis. Les travaux de Justes (1966) dans les sables des Landes ont fait ressortir un seuil de toxicité de 50 mg/kg d’aluminium échangeable. En expérimentation, des pertes de rendement supérieures à 10 % ont été observées pour des teneurs en aluminium échangeable variant suivant les sites, de 30 à 100 mg/kg : ceci s’explique par l’interaction de l’aluminium avec la matière organique, l’extraction au KCl qui extrait certaines formes non toxiques et l’interaction possible dans certains sols avec la toxicité manganique (non mesurable). (A BOUTHIER, colloque INRA 2001). En dehors de références plus précises, aujourd’hui la teneur en aluminium échangeable s’apprécie par rapport au seuil de toxicité de 50 mg/kg. Ce seuil est probablement plus élevé quand on a une teneur importante en matière organique dans le sol. Les agronomes travaillant dans les pays tropicaux préfèrent utiliser des valeurs relatives tenant compte de l’environnement des autres cations. Par exemple la relation du « m de Kamprath » (1970) exprimant la « saturation par l’aluminium » : m = (Aléch * 100) / (Aléch + S) avec S = somme des bases échangeables (Ca, Mg, K et Na). Les valeurs de m vont permettre de donner des seuils limite pour les cultures, comme l’indique le tableau ci-dessous.

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  • Moyens d’action

Dans des situations très acides, différents moyens d’action sont envisageables. Le choix de l’un ou l’autre d’entre eux dépasse parfois les simples critères technico-économiques :

Les amendements minéraux basiques :

Le calcium agit à plusieurs niveaux : antagonisme avec l’aluminium, déplacement de celui-ci du complexe et insolubilisation, remontée du pH, amélioration de l’assimilation du phosphore… Une simple élimination de l’aluminium, dans la mesure où cela concerne une acidité potentielle, ne relève pas, ou peu, le pH. Par contre, dès que l’élimination de l’aluminium est complète, le pH augmente alors rapidement. Le phénomène étant complexe et difficilement modélisable (intervention du niveau et de la nature de la matière organique, nature des argiles…), la méthode « expérimentale » (par tâtonnement) est la plus efficace pour déterminer la dose exacte d’amendements à utiliser (J. Boyer, 1976). Par ailleurs, s’il est techniquement envisageable d’améliorer le sol, il est beaucoup plus compliqué de le faire pour le sous-sol. La correction de l’acidité est difficile dans beaucoup de sols tropicaux (mais aussi français) quand ils contiennent des argiles à charge variable (1) . La nature de l’argile est un paramètre à prendre en compte avant tout investissement de chaulage, notamment parce que certaines, comme les illites, fournissent plus d’aluminium échangeable que d’autres : l’apport d’amendement augmente alors la capacité d’échange cationique (CEC), ce qui accroît les besoins en produits calciques et en engrais. Il est donc important alors, dans une vision d’économie d’intrants, de viser un pH juste suffisant pour la culture la plus sensible de la rotation, en général de 5,5. Le brûlis de la végétation, qui a une certaine efficacité neutralisante, n’est envisageable qu’en agriculture de subsistance ou lors d’un défrichement. Dans les régions tempérées, il y a peu de risques de sur-chaulage (sauf sur sols peu tamponnés, surtout s’ils sont irrigués). Ce n’est pas le cas dans la plupart des régions tropicales où « il vaut mieux considérer le chaulage comme une fertilisation en calcium plutôt qu’une modification du pH pour éviter l’appauvrissement, à moyen terme, des sols, mais aussi une dégradation physique» ( Robert D. Harter, Ph.D., Les sols acides des Tropiques, 2007).

La matière organique : En complexant les ions aluminium, la matière organique peut diminuer les toxicités aluminiques, à condition d’être raisonnée conjointement avec l’entretien calcique (des pH du sol trop faibles ne permettant pas aux micro-organismes d’être efficaces). Cette action désintoxiquante de la matière organique vis-à-vis d’ Al3+ mais aussi du Mn2+ a souvent une efficacité rapide (Wouters, 1991).

L’apport de phosphore : Le phosphore précipite l’aluminium échangeable et réduit donc sa toxicité. Du fait de son coût, cette technique est peu utilisée.

Le choix des espèces : Face au coût du chaulage pour la majorité des pays en voie de développement (notamment du fait de la nature pondéreuse des produits calco-magnésiens), il est souvent conseillé de réfléchir plutôt aux espèces adaptées à l’acidité et aux variétés les plus tolérantes.

Le progrès génétique : Des chercheurs australiens et japonais ont découvert en 2006 un gène (ALMT1) contrôlant la tolérance du blé pour l'aluminium (le même phénomène ayant été observé sur le maïs et le haricot). Cette tolérance est associée à l’induction par l’aluminium d’un efflux de malate ou de citrate (composés organiques de charge négative) au niveau des apex racinaires. Ces molécules complexent les cations Al3+ et les rendent inactifs. Il a été ainsi possible de fortement améliorer la résistance à la toxicité aluminique de l’avoine (naturellement très sensible) en le modifiant génétiquement. Pour d’autres espèces, le mécanisme de tolérance apparaît beaucoup plus complexe. Face à l’enjeu mondial que représente la toxicité aluminique, en particulier dans les zones subtropicales et à la quasi impossibilité qu’ont les agriculteurs des pays concernés à pratiquer des amendements calco-magnésiens, on comprend pourquoi les semenciers internationaux s’intéressent beaucoup à modifier génétiquement certaines cultures vivrières (manioc, mil, sorgho…) sur le critère de résistance à l’aluminium. On imagine facilement aussi toutes les questions que cela soulève.

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On voit donc que si le problème de la toxicité aluminique n’est pas primordial en France (au moins pour les sols), il revêt une très grande importance mondiale avec des implications qui dépassent de très loin le seul contexte agronomique. Le Service Agronomie aurea est à votre disposition pour toute information complémentaire. N’hésitez pas à nous contacter !