Evaluation de la pierrosité

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'D’un côté, les sols caillouteux représentent environ 40% des sols français. D’un autre côté, les analyses de sols en laboratoire s’effectuent normativement sur la terre fine (1) (c’est-à-dire sur les particules inférieures à 2mm , après préparation et broyage selon les normes NF X 31-101 et NF EN ISO 11464), et ignorent ces pierres, graviers et autres cailloux fantômes. Néanmoins, comme la profondeur de sol utile ou la nature du sous-sol, la connaissance de la pierrosité d’une parcelle est indispensable au conseiller pour interpréter et utiliser l’analyse. Intuitivement, on peut penser que, par exemple, un sol ayant 50% en volume d’éléments grossiers (supérieurs à 2mm) a un potentiel minéral et nutritif équivalent à un sol non caillouteux moitié moins profond. Pratiquement, l’approche est plus complexe, la présence de cailloux modifiant et, parfois, améliorant le fonctionnement du sol. Partant dans un premier temps des outils d’appréciation de la charge en cailloux, intéressons nous aux effets négatifs ou positifs de la pierrosité sur les sols et les plantes.


Pourquoi étudier les éléments grossiers d’un sol ?

Dès que leur présence dans un sol est significative, les éléments grossiers vont avoir des effets agronomiques qu’il faudra prendre en compte :

- diminution de la réserve utile en eau du sol ou, au contraire, stockage d’eau,

- protection contre l’évapotranspiration,

- stockage d’énergie et réchauffement du sol,

- obstacle au développement racinaire,

- évolution plus rapide des matières organiques,

- maintien de la porosité du sol et protection contre le tassement…

Techniquement, une charge trop importante en cailloux va entraîner des difficultés de semis et de récolte, elle va être un obstacle à la mécanisation et pour certaines cultures, obliger à un choix de matériel spécifique ou de méthodes culturales appropriées.

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Appréciation de la pierrosité

Plusieurs méthodes ont été décrites pour apprécier la pierrosité globale d’un sol, en volume ou en masse.

• La pesée au champ : cette méthode laborieuse consiste, à l’aide de tamis et de balance, et selon un plan statistique précis, à peser les éléments grossiers du sol et à ramener leur masse au poids total de la terre.

• La pesée des refus au laboratoire : cette mesure, qui consiste à peser les particules supérieures à 2mm de l’échantillon, se fait le plus souvent sur demande explicite et doit être complétée par l’estimation (en masse) des éléments les plus volumineux non prélevés. Il paraît nécessaire d’avoir cette information, invariante, au moins une fois dans l’historique analytique d’une parcelle. La seule connaissance des refus est déjà une information importante (surtout s’ils sont élevés) mais n’est pas suffisante en soi pour apprécier la pierrosité, dans la mesure où la répartition des cailloux ne suit pas forcément une loi statistique normale.

• Le comptage par points : on compte le nombre d’éléments grossiers à l’aide de grilles (proches de celles utilisées pour un comptage floristique) et on mesure leur taille. Il existe, là aussi, des méthodes statistiques spécifiques. On est ici sur une approche en volume.

• L’estimation visuelle : cette méthode, la plus fréquente, utilise des grilles d’estimation de la pierrosité du sol (identiques à celles utilisées pour l’appréciation de la couleur). On est là, également, sur une approche en volume. Ces grilles sont utilisables pour une étude de surface ou de profondeur (profil cultural). Sur le graphique ci-dessous chaque quart de carré a la même proportion, en surface, de cailloux mais pas le même nombre. L’appréciation de la taille des éléments grossiers est donc également importante pour le comportement du sol et des racines.

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En volume, expression recommandée par le GEPPA (Groupe d’Etude des Problèmes de Pédologie Appliquée), la quantité d’éléments grossiers est généralement décrite de la façon suivante :

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Cette information doit être complétée par une estimation de la taille des éléments grossiers, pour des conseils de mécanisation, par exemple. Plusieurs classifications existent. La plus courante (AFNOR X 31-003 1998) utilise la grille suivante :

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Dans l’étude du profil d’un sol, la description de la quantité et de la taille des éléments grossiers est effectuée pour chaque horizon. Deux sols identiques sur les 40 premiers centimètres n’auront en effet pas le même comportement s’ils reposent l’un sur un sous-sol de graviers et l’autre sur une couche argileuse.

Estimation de la densité des éléments grossiers

La densité apparente d’un sol varie de 1,0 à 1,6 g/cm3. Les cailloux ont une densité globalement comprise entre 2 et 3. La proportion de cailloux intervient donc directement sur les conseils ou les résultats d’analyses utilisant la densité, par exemple pour les reliquats azotés en grandes cultures. Pour des études précises, notamment en horticulture et maraîchage ou en cas d’irrigation fertilisante, il sera nécessaire d’avoir une estimation de la charge en cailloux en masse et non plus seulement en volume, pour estimer cette densité.

Nature des éléments grossiers et comportement vis-à-vis de l’eau

Généralement, les éléments grossiers diminuent le potentiel hydrique du sol et limitent, en proportion de leur présence en volume, la réserve en eau, du fait de leur absence de porosité. Il y a, par contre, des exceptions, comme les craies ou des grès altérés qui possèdent une porosité parfois importante et « stockent » de l’eau. Dans les régions concernées (Vallée du Rhône, Champagne…), les Réserves Utiles d’un sol caillouteux peuvent être plus élevées que celles des sols non caillouteux. Certaines études ont enfin pu montrer que les cailloux poreux pouvaient jouer un rôle « tampon » en restituant de l’eau dans les phases de dessiccation du sol (Coutadeur et al, 2000). La connaissance de la nature des cailloux présents dans un sol est donc également nécessaire à l’agronome.

Autres informations utiles :

Le niveau d’évolution des cailloux, leur forme, leur dureté, la présence d’éclats coupants, leur sensibilité au gel, leur localisation en surface et en profondeur sont également des informations à collecter, pour une nouvelle parcelle ou l’implantation d’une culture de longue durée.

On voit que l’étude des éléments grossiers du sol est à la frontière entre l’agronomie, la pédologie et la géologie.


1) La « terre fine » est obtenue par séchage de l’échantillon, à l’air libre ou à basse température, puis tamisage à 2 mm. L’objectif est d’émietter les agrégats et d’obtenir une poudre homogène, correspondant à une sorte d’état standard, sur laquelle sont réalisées les différentes déterminations analytiques (lesquelles concernent donc la terre fine séchée à l’air). La « terre fine » ainsi obtenue est un « mélange statistique » qui gomme les hétérogénéités internes à l’horizon considéré et où les constituants du « fond matriciel » dominent en général largement sur ceux des « traits pédologiques ». Source : Guide des analyses en pédologie (D Baize, 2000).


conséquences de la pierrosité

Si l’on perçoit bien les effets négatifs des cailloux, leurs éventuels effets positifs apparaissent moins évidents. Pourtant, déjà, Pline l’Ancien raconte qu’un laboureur de Syracuse ayant enlevé les pierres de son champ et, que rien ne pouvant plus y pousser, fut obligé de les remettre en place…


  • Cailloux et rendements des cultures

Il existe peu de comparaisons fiables entre les résultats d’une culture en sol caillouteux ou non caillouteux du fait des difficultés d’expérimentation sur site. Cette comparaison est d’autant plus difficile qu’elle va varier selon les espèces. D’une façon générale, les plantes pérennes sont beaucoup moins sensibles aux sols caillouteux (surtout si elles sont irriguées) que les prairies. Les plantes annuelles sont les plus sensibles du fait de difficultés d’installation. On comprend que, physiquement, une forte pierrosité est problématique pour des cultures de betteraves ou de carottes. De même, la présence d’éléments grossiers au sol peut rendre impossible la récolte mécanique (pomme de terre par exemple). La figure ci-dessous fait la synthèse d’un certain nombre d’essais sur le sujet (d’après R. GRAS -pub. INRA 1994).

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  • Cailloux et température du sol

Les propriétés thermiques des cailloux sont différentes de celles de la terre fine. Il faut distinguer ici la conductivité thermique (capacité à conduire la chaleur), de la capacité thermique (capacité à accumuler la chaleur). Ces deux propriétés sont regroupées sous le terme de diffusivité thermique et vont varier en fonction de la nature des cailloux en place. Ainsi, en sol sec, une pierrosité élevée va augmenter les réactions thermiques du sol : plus forte sensibilité au réchauffement (dans la journée ou dans la saison) mais, à l’inverse, plus grande sensibilité au refroidissement (nocturne ou dans la saison). Cela constitue une des difficultés supplémentaires à la culture dans des zones désertiques ou semi désertiques où les amplitudes thermiques sont souvent très élevées, mais caractérise aussi certains terroirs viticoles. Ce phénomène est beaucoup moins présent quand les pierres sont poreuses d’où l’importance, dans une étude de sol, de définir la nature des cailloux. Par ailleurs, il est atténué en sol faiblement ou normalement humide mais accentué en sol saturé en eau. Ainsi une étude précise de l’effet de la pierrosité sur le réchauffement du sol devient vite complexe puisqu’il faut tenir compte de la nature et proportion de cailloux, de la terre fine mais aussi de son niveau d’humidité. A noter également que la présence de cailloux en surface du sol va changer les conditions de l’ambiance externe dans lesquelles va fonctionner la plante (températures, humidité, réverbérations…). Ce phénomène, caractérisant certains terroirs, est très connu et utilisé en plantes pérennes, avec une maturation différente des baies de raisin ou des écarts de précocité de coloration des pommes.


  • Cailloux et eau dans le sol

La pierrosité d’un sol améliore sa perméabilité et permet une meilleure pénétration de l’eau mais avec, en cas d’une forte présence superficielle de cailloux, une diminution de la surface utile d’humectation. Le drainage est également augmenté ce qui, là aussi, peut être un atout dans les sols à risque de saturation en eau (base argileuse ou limoneuse) mais constitue une difficulté supplémentaire dans les sols grossiers à faible pouvoir tampon. De même, cet effet sera souvent positif en saisons humides mais négatif en périodes sèches. Ce critère sera important à prendre en compte pour le choix d’un système d’irrigation. Les cailloux limitent aussi les flux d’eau capillaires dans le sol et il en résulte souvent, en été, une augmentation du niveau d’humidité de la terre fine en sol caillouteux. Pratiquement, il y a moins d’évaporation de surface en sol caillouteux du fait d’une meilleure infiltration de l’eau et de la couverture du sol par les cailloux. Par exemple, SAINI et Mc LEAN (1967) ont constaté que l’épierrage d’un sol à 8 % de pente diminue l’humidité du sol (voir graphique ci-dessous). Les cailloux poreux se comportent différemment dans le sol puisque leur capacité à stocker une certaine quantité d’eau va influencer leur impact hydrique. On est ici sur des problèmes d’hydraulique, très complexes à analyser sur un milieu aussi hétérogène qu’un sol. Il est difficile d’apprécier, a priori, l’effet positif ou négatif des cailloux sur l’humidité d’un sol.

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  • Cailloux et structure du sol

L’effet positif ou négatif des cailloux sur l’amélioration de la structure du sol va dépendre de la proportion de cailloux et de la nature de la terre fine. Le comportement d’un sol à risques de faible porosité (possibilité de battance, de tassements, ….) sera amélioré par un certain niveau de pierrosité, via ses effets sur l’aération mécanique, la protection de la surface etc. On estime que, dans ce type de sol, hors espèces très sensibles aux cailloux, le rendement en culture non irriguée peut être amélioré jusqu’à 30 à 40% de cailloux et graviers puis diminue quand la pierrosité augmente. En cultures arbustives ferti-irriguées, on peut arriver à des valeurs très supérieures. Certaines zones (dans les Costières de Nîmes, par exemple) ne sont cultivables que grâce aux cailloux. Bien évidemment, la profondeur du sol, la richesse en matières organiques et la nature du sous-sol interviennent également. La présence de cailloux protège également contre l’érosion et un épierrage intensif ou mal raisonné, dans les pays à forte pluviométrie ou dans les régions pentues, est un facteur de dégradation plus rapide des sols. De même, ce critère intervient dans le choix du type d’irrigation, les éléments grossiers en surface limitant l’impact, parfois violent et compactant, des gouttes d’eau sur le sol.


  • Cailloux et travail du sol

La quantité de cailloux et leur agressivité obligent à adapter le travail du sol et les outils utilisés. L’épierrage ou le broyage, s’il est possible (pour les pierres tendres calcaires, mais avec le risque d’assécher le sol) sont fréquemment utilisés, mais représentent un coût significatif en cultures annuelles. L’objectif sera surtout d’essayer de ne pas faire remonter des pierres. Les Techniques Culturales Simplifiées ou les semis directs sont une option intéressante si la nature du sol n’oblige pas à le restructurer régulièrement. D’une façon générale, tout travail profond est à éviter (surtout de type sous-solage). On préfèrera les socs à lame et les outils à dents verticales (sauf pour l’enfouissement des pailles où les outils à disque semblent préférables). L’adaptation des semoirs est également nécessaire. La limite sera cependant l’usure du matériel (abrasion) et les coûts supplémentaires de protection du matériel.

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Par ailleurs, l’influence de la charge en pierres sur les caractéristiques hydriques, thermiques et mécaniques du sol va également jouer sur le comportement de la faune et flore et sur la vitesse de dégradation des végétaux, des pailles notamment. A niveau de terre fine équivalente, un éventuel apport de produits organiques sera donc à raisonner différemment sur sol caillouteux ou non (niveau, nature, fréquence…).


  • Cailloux et racines

L’impact des éléments grossiers sur les racines va être direct (lésions, obstacle au développement…) ou indirect (modification du contexte du sol). Les légumes tige, comme l’asperge, les bulbes, les légumes racines et les tubercules seront naturellement les plus sensibles aux agressions directes. En plus du risque de non contact de la graine avec la terre fine, les cailloux peuvent pénaliser le développement des organes fragiles comme les coléoptiles et les racines séminales des céréales. Le changement des conditions hydriques, d’aération et de température lié à la charge en cailloux influe également sur le développement et le fonctionnement radiculaire, de façon positive ou négative selon les cas. Un autre effet évident, mais plus difficile à appréhender, est la consommation supplémentaire d’énergie par le végétal pour le développement des racines dans un sol comportant beaucoup d’obstacles physiques, au détriment de l’axe végétatif et de la production. Des racines plus « torturées » sont également moins performantes. Cet effet négatif sera d’autant plus important que le cycle de la culture est court.

Les éléments les plus grossiers du sol participent donc à la nutrition minérale et hydrique de la plante, parfois directement mais surtout indirectement en modifiant les conditions de milieu. La pierrosité est, comme la profondeur du sol ou la nature du sous-sol, un élément le plus souvent invariant de la parcelle cultivée et sa prise en compte, s’il y a lieu, est nécessaire pour bien valoriser les analyses de sol. L’équipe d’agronomes d'aurea est à votre disposition pour répondre à vos questions et échanger sur ces problématiques.