Méthode du bilan azoté : Différence entre versions

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(la minéralisation nette de l’azote organique du sol)
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Nous allons nous focaliser sur un poste du bilan intimement lié au terroir et donc sujet à de nombreuses variations régionales : la minéralisation nette de l’azote organique du sol (Mh).
 
Nous allons nous focaliser sur un poste du bilan intimement lié au terroir et donc sujet à de nombreuses variations régionales : la minéralisation nette de l’azote organique du sol (Mh).

Version du 20 août 2014 à 10:58

METHODE DU BILAN AZOTE « LES PRINCIPES »

Avec la parution il y a moins d’un mois des nouveaux arrêtés relatifs aux programmes d’actions « nitrate » 1, la gestion de l’azote à l’échelle de l’exploitation agricole est plus que jamais un sujet d’actualité. La fertilisation azotée constitue un pilier fondamental de cette gestion, puisqu’elle est la seule variable d’ajustement maîtrisable par l’agriculteur, dans un objectif d’équilibre des fournitures d’azote et des besoins des cultures. Pour atteindre cet objectif, le calcul de la dose prévisionnelle d’azote à apporter par les fertilisants peut s’appuyer sur la méthode du bilan. Cette méthode est retenue au niveau national dans le cadre des programmes d’actions « nitrate » comme l’outil de référence pour garantir l’équilibre de la fertilisation azotée.


* L’azote : du grain à l’ozone

Le premier enjeu de la fertilisation est d’assurer la production agricole, aussi bien en quantité qu’en qualité. C’est particulièrement vrai pour l’azote, qui est très souvent le premier facteur limitant de production : un manque d’azote empêche d’atteindre l’objectif de rendement. Mais un excès d’azote n’est pas meilleur car il peut provoquer également des pertes de rendements (cas de la verse sur céréales par exemple). Il en va de même pour la qualité des productions, l’azote étant le principal constituant des protéines.

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Le deuxième enjeu du raisonnement de la fertilisation azotée, qui n’est pas des moindres, est l’optimisation de l’efficience énergétique et économique des exploitations agricoles. Dans un contexte de hausse du prix des engrais, il est nécessaire de raisonner la fertilisation pour atteindre l’optimum économique. Limiter les atteintes à l’environnement constitue le troisième enjeu de la fertilisation azotée. En plus des conséquences sur la qualité de l’eau (contexte nitrate), les fertilisants azotés peuvent également avoir un impact sur la qualité de l’air, par le biais de perte d’azote sous forme gazeuse. Ainsi l’oxyde nitreux (N2O), issu de la dénitrification du nitrate, contribuerait à 20 % de l’effet de serre global. Son effet est 300 fois supérieur à celui du CO2 ! Or l’agriculture et la sylviculture seraient responsables de plus de 80 % des émissions de N2O (source CITEPA, 2008). Par ailleurs, l’utilisation dans de mauvaises conditions d’engrais minéraux ou de produits organiques contenant de l’ammonium (NH4), peut conduire à la production d’ammoniac (NH3), qui est un précurseur de particules fines dangereuses pour la santé.


* L’azote vu du sol

La nécessité du raisonnement de la fertilisation azoté semble donc entendue, mais il reste à choisir la méthode la plus adaptée. Pour ce faire, il faut se baser sur les connaissances agronomiques, et entre autres sur ce qu’il est convenu d’appeler « le cycle (biogéochimique) de l’azote », qui représente les différentes formes d’azote et les transferts vus du point de vue du sol.

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La plante assimile l’azote sous forme minérale dans la solution du sol, principalement l’ion nitrate (NO3-). Ce nitrate provient de différentes sources :

• Minéralisation de l’azote organique du sol, des résidus de récolte, des cultures intermédiaires (CIPAN), des produits résiduaires organiques (PRO), des retournements de prairies

• Apports atmosphériques, irrigation

• Fertilisants azotés

Citons également le cas particuliers de la fixation symbiotique d’azote atmosphérique par les légumineuses. Le prélèvement par les plantes n’est pas le seul processus responsable de la sortie d’azote du système sol. Des pertes sont possibles par entrainement dans les eaux de drainage (lixiviation), lorsque le niveau des précipitations est supérieur à la réserve utile du sol et à l’évapotranspiration, ainsi que les pertes gazeuses dans certaines conditions (dénitrification / volatilisation). Pour équilibrer la fertilisation azotée, il faut donc être capable d’estimer les différents flux d’azote à l’échelle du cycle cultural. C’est un des sujets de prédilection de la recherche agronomique, passée et actuelle. Les résultats des travaux ont permis de mieux comprendre ces phénomènes dynamiques, pour les intégrer dans une méthode de calcul opérationnelle : le bilan azoté prévisionnel.


* La méthode du bilan azoté prévisionnel

Cette méthode de raisonnement est basée sur le principe du bilan de masse, qui énonce que l’état final d’un système correspond à son état initial, additionné de ce qui est entré et soustrait de ce qui est sorti. état final = état initial + entrées – sorties

Le bilan se définit donc sur une période donnée, avec une date d’ouverture et une date de fermeture du bilan.

Cette écriture a été adaptée au contexte de la fertilisation azotée :

État final : quantité d’azote à la fermeture du bilan (récolte)

Entrées : fournitures d’azote (engrais, minéralisation de la matière organique (MO) du sol, PRO, résidus de cultures, CIPAN, apports atmosphériques, …)

Sorties : N absorbé par la culture, pertes d’azote (lixiviation, volatilisation / dénitrification)

État initial : quantité d’azote à l’ouverture du bilan


La récolte est considérée comme l’état final (fermeture du bilan). L’état initial (ouverture du bilan) est plus délicat à choisir. Si la date d’implantation de la culture est le premier choix qui vient à l’esprit, il n’est pas forcément le plus judicieux. En effet, tous les postes du bilan ne sont pas connus avec la même précision.

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Si on considère que les apports atmosphériques compensent les pertes par volatilisation et/ou dénitrification, le poste le plus problématique à estimer est la perte d’azote dans les eaux de drainage (lixiviation) entre la récolte du précédent et la fin de la période de drainage. Elle va dépendre en grande partie du climat, du type de sol et du système de culture, et peut varier de 0 à plus de 60 kg/ha. De plus, même pour les cultures d’hiver, la majorité de l’absorption d’azote a lieu au printemps. L’ouverture du bilan s’effectue donc à la fin de la période de drainage, c’est-à-dire en sortie d’hiver.

L’optimisation de la fertilisation azotée consiste donc à équilibrer les entrées et les sorties, afin que l’azote minéral restant dans le sol à la récolte soit le plus faible possible. L’équation du bilan peut donc être écrite de manière à calculer la dose prévisionnelle d’azote :

Dose d’engrais azoté (dose X) = besoin de la culture – fournitures en azote


Cette écriture simplifiée peut être détaillée avec les différents postes du bilan :

Dose X = ( Pf + Rf ) - ( Pi + Ri + Mh + Mr + MrCi + Mpro + Mhp + Nirr )

Avec :

Pf : Quantité d’azote absorbé par la culture à la fermeture du bilan

Rf : Quantité d’azote minéral dans le sol à la fermeture du bilan (ou reliquat post-récolte)

Pi : Quantité d’azote absorbé par la culture à l’ouverture du bilan

Ri : Quantité d’azote minéral dans le sol à l’ouverture du bilan (ou reliquat sortie hiver)

Mh : Minéralisation nette de l’humus du sol

Mr : Minéralisation nette des résidus de récolte

MrCi : Minéralisation nette des résidus de culture intermédiaire (CIPAN)

Mpro : Minéralisation nette de l’azote organique des produits organiques

Mhp : Minéralisation nette due à un retournement de prairie

Nirr : Azote apporté par l’eau d’irrigation


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La mesure du reliquat azoté (ou reliquat sortie hiver – Ri) permet de quantifier l’azote minéral à l’ouverture du bilan. Il s’agit du seul poste mesuré, tous les autres postes sont estimés ou calculés à l’aide de tables de référence ou de modèles. Ces postes dépendent des conditions pédoclimatiques et du système de culture. La collecte précise de ces informations est donc primordiale pour obtenir un conseil de dose d’azote adapté à la situation.

De nombreux postes du bilan sont dépendants du climat et du développement de la culture. La méthode du bilan délivre donc une dose prévisionnelle, qui ne constitue pas une garantie de rendement. Ce conseil pourra donc être modulé en cours de culture à l’aide d’outils d’ajustement de la dose, basés sur la mesure de l’état nutritionnel des plantes (par exemple JUBIL, N tester ou Farmstar). Ces méthodes sont donc complémentaires à la démarche du bilan, mais ne peuvent pas s’y substituer.

La description détaillée de tous les postes du bilan et des méthodes de calculs pour les différentes cultures se trouve dans la brochure azote éditée par le COMIFER. Les documents sont téléchargeables à l’adresse suivante : http://www.comifer.asso.fr/index.php/bilan-azote.html

1 Arrêté du 23 octobre 2013 relatif aux programmes d’actions régionaux en vue de la protection des eaux contre la pollution par les nitrates d’origine agricole Arrêté du 23 octobre 2013 modifiant l’arrêté du 19 décembre 2011 relatif au programme d’actions national à mettre en œuvre dans les zones vulnérables afin de réduire la pollution


La minéralisation nette de l’azote organique du sol

Nous allons nous focaliser sur un poste du bilan intimement lié au terroir et donc sujet à de nombreuses variations régionales : la minéralisation nette de l’azote organique du sol (Mh).


  • De l’organique au minéral : quand les bactéries font place nette

La minéralisation brute de l’azote est le passage de la forme organique à la forme minérale. Cette transformation peut être d’origine physico-chimique dans des conditions extrêmes (pH très faible et fortes températures). Dans nos régions tempérées, la minéralisation brute de l’azote est principalement due à la dégradation biologique (par les macro et micro-organismes) de la matière organique du sol. La première étape de ce processus, l’ammonification (ou protéolyse), concerne la conversion de l’azote organique en ammonium (NH4+) sous l’action de micro-organismes hétérotrophes qui utilisent des substrats carbonés comme source d’énergie. L’azote et le carbone sont également utilisés dans la constitution de la biomasse microbienne et des métabolites microbiens. En conditions non limitantes (pH et humidité pas trop faibles ni trop élevés), l’ammonium est converti en nitrate (NO3–) par des bactéries autotrophes lors de la seconde partie du processus : la nitrification.


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La minéralisation brute est toujours associée au phénomène d’organisation de l’azote minéral qui consiste à l’assimilation de l’azote minéral par les micro-organismes du sol pendant l’oxydation de substrats carbonés. Ce phénomène est aussi appelé « immobilisation » car, les plantes étant moins bonnes compétitrices que les micro-organismes pour l’azote minéral, elles ne peuvent accéder à l’azote incorporé dans la biomasse microbienne. Il peut engendrer un phénomène temporaire de "faim d'azote" pour la culture. Cet azote minéral immobilisé peut ensuite être remis à disposition des plantes lors du renouvellement de la biomasse microbienne du sol. Minéralisation brute et organisation sont étroitement liées et donc difficilement dissociables en conditions de champ. La minéralisation nette d’azote est la différence entre la minéralisation brute et l’organisation, correspondant donc à la fourniture azotée du sol disponible pour la culture.


  • Facteurs pédoclimatiques : un limon de Beauce sinon rien ?

Comme tout processus microbien, la minéralisation nette de l’azote organique est sous l’influence du climat (température et humidité). La minéralisation est la plus élevée en conditions chaudes et humides. Les modèles mécanistes utilisés aujourd’hui pour estimer cette minéralisation utilisent des relations telles que celles décrites dans les graphiques suivants.

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Plus que des différences entre les régions, c’est surtout la variation annuelle de la minéralisation qui est à prendre en compte. Les effets température et humidité se compensent en hiver (humidité élevée mais température faible) et en été (température élevée mais humidité faible), ce qui limite la minéralisation sur ces périodes. Le printemps et surtout l’automne sont donc les saisons les plus favorables à la minéralisation de l’azote organique. La minéralisation automnale peut représenter plus du tiers de la minéralisation annuelle, d’où l’intérêt d’avoir un couvert végétal à cette époque pour valoriser ce flux d’azote.

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En plus du climat, les caractéristiques liées au type de sol vont fortement impacter sur la minéralisation nette d’azote (texture, statut acido-basique, teneur en azote organique). L’argile forme des complexes avec la matière organique, ce qui a pour effet de la protéger physiquement de la dégradation par les micro-organismes. Il en va de même pour le calcaire qui forme des sortes de gangues autour des particules organiques. Ainsi les sols argileux et/ou calcaire possèdent naturellement des potentiels de minéralisation de l’azote organique plus faibles que des sols limoneux ou sableux. Un autre paramètre de sol agit fortement sur la minéralisation nette de l’azote organique : le pH. En effet, la nitrification est très fortement inhibée pour des pH inférieurs à 5,5 ou trop élevés. Corriger l’acidité de son sol est ainsi un des leviers pour améliorer la dynamique des matières organiques.

La modélisation des effets de ces caractéristiques de sol a permis d’établir l’équation du K2, qui est le taux de minéralisation annuelle de la matière organique. Ce modèle, publié il y a près de 40 ans (Rémy et Marin-Laflèche, 1974), a connu de nombreuses évolutions suite aux différents travaux de recherche menés depuis, dont certains sont encore à venir 2.

Mais attention, le potentiel n’est pas tout ! En effet, la minéralisation nette de l’azote organique dépend également du stock d’azote organique à minéraliser. Sur les 25 premiers centimètres de sol, ce stock peut varier de moins de 4 t/ha pour des limons battants à plus de 8 t/ha pour des sables humifères. Par exemple, bien que son potentiel de minéralisation soit limité par la forte teneur en calcaire, une craie pourra fournir presqu’autant d’azote minéralisé qu’un limon moyen car son stock d’azote organique est généralement plus important.

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Le potentiel de minéralisation nette d’azote est donc propre à chaque type de sol et peu modifiable. Les pratiques culturales peuvent tout de même influer sur la minéralisation nette de l’azote, par le biais des restitutions organiques. Ainsi, exporter ses pailles et ne faire aucun apport organique peut réduire le potentiel de minéralisation de 20 %. A l’opposé, l’enfouissement des résidus de récolte, l’implantation de couverts et des apports organiques réguliers peuvent améliorer le potentiel de minéralisation de 20 %.

  • C'est la culture qui décide !

Dans le cadre de la méthode du bilan azoté, la minéralisation nette de l’azote organique va donc se calculer en fonction du type de sol, du climat et de l’itinéraire cultural. Mais comme tout poste du bilan, il se calcule de l’ouverture (sortie hiver) à la fermeture du bilan (récolte). De plus, la période d’août à novembre présente la minéralisation nette la plus importante. Donc les cultures récoltées à l’automne bénéficieront de cette forte minéralisation, parfois au détriment de la maturation. Ce ne sera pas le cas pour les cultures récoltées en été.

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Pour un même type de sol et un même climat, la minéralisation nette entre le reliquat et la récolte peut varier du simple au double. La culture est donc le facteur le plus important dans le calcul de ce poste!

Pour conclure sur un point réglementaire, dans le cadre du programme d’action national à mettre en œuvre dans les zones vulnérables, afin de réduire la pollution des eaux par les nitrates d'origine agricole, des Groupes Régionaux d’Expertise Nitrates ont été créés par arrêtés préfectoraux. Ces GREN étaient chargés de proposer à chaque préfet de région les références techniques nécessaires à la mise en œuvre opérationnelle des mesures du programme d’actions «nitrates » au niveau régional. Chaque référentiel GREN peut ainsi présenter une variante plus ou moins importante du calcul du poste « minéralisation nette de l’azote du sol » présenté dans cet article. Si vous avez des questions à ce sujet, n’hésitez pas à nous contacter.


1 Données issues de modélisation à partir des paramètres d'AZOFERT®. Source SAS Laboratoire. 2E Justes, JP Cohan, M Desprez, J Cerman, M Valé, L Champolivier, F Laurent et B Mary, 2009. Prédiction de la minéralisation de l’azote organique humifié des sols cultivés : paramétrage et validation de modèles opérationnels. Congrès COMIFER-GEMAS - 25 & 26 nov. 2007 - Blois, France