L'apoptose
Les grecs anciens parlaient d’ « apoptosis » pour désigner la chute des feuilles à l’automne. Le terme d’apoptose est actuellement utilisé pour désigner le phénomène de Mort Cellulaire Programmée (MCP), ou de suicide cellulaire. Cette notion, surtout utilisée pour les cellules animales, apparaît de plus en plus présente chez les végétaux, même si on n’en comprend pas encore tous les mécanismes. La plante utiliserait, par exemple, des phénomènes de type MCP pour se défendre contre certains pathogènes selon un programme génétique établi (plusieurs éliciteurs se basent sur ce principe).
La chute des feuilles à l’automne est-elle de nature apoptotique ? Ou, pédanterie mise à part, quelles sont les raisons de la chute des feuilles ? Ce phénomène est-il utile à l’arbre ou au cep ? Du point de vue du laboratoire et du conseiller : comment interviennent les conditions de la chute des feuilles sur les composantes minérales et organiques de la mise en réserve évaluées par l’analyse de bois ?
Sommaire
Mécanisme de la chute des feuilles
La chute des feuilles correspond à des mécanismes d’économie d’énergie et de protection. Les parties ligneuses (aériennes ou souterraines) sont plus résistantes au froid que les feuilles et permettent la survie du végétal avec une consommation énergétique réduite. Le maintien de la frondaison en période hivernale serait inutilement énergivore, sauf pour des arbres comme les conifères dont les feuilles ont des formes et compositions différentes. Par ailleurs, l’absence d’activité photosynthétique limite fortement la consommation énergétique des arbres en période défavorable. Les conditions climatiques de l’automne, baisse des températures et surtout raccourcissement des périodes diurnes (photopériodisme), sont perçues par des capteurs spécifiques de la feuille et s’y traduisent par une forte augmentation des concentrations en éthylène (l’éthylène, hormone de la maturation, a été découverte en 1901 en constatant que les feuilles des arbres situés à proximité des lampadaires à gaz, chutaient prématurément).
Ce signal conduit à la création d’une zone liégeuse à la base du pédoncule des feuilles qui, privées d’eau et de nutriments, cessent leur activité photosynthétique et donc ne peuvent plus régénérer la chlorophylle, molécule instable. La perte de la couleur chlorophyllienne verte permet de faire apparaître les couleurs, plus ou moins spécifiques à chaque espèce ou variété, issues des anthocyanes (rouge vif à violet), carotènes (orange), xantophylles (jaunes) et autres phénols, normalement masquées. Dans les régions viticoles, la reconnaissance des différents cépages par leurs robes automnales est toujours un spectacle éblouissant, d’autant que son expression, du fait de la sensibilité des anthocyanes au pH, peut être différente selon l’acidité du milieu.
La couche liégeuse constitue également une zone d’abscission à partir de laquelle la feuille va se séparer de la branche, la cicatrice sur le bois étant également protégée de liège. Le mécanisme de la chute des feuilles n’a donc rien d’un phénomène passif. Chacun peut observer qu’elles ne tombent pas simplement parce qu'elles sont mortes. On le voit bien lorsqu'une branche est coupée en été : les feuilles meurent, mais restent bien fixées. Ainsi le végétal prépare de façon active cette phase de son cycle de végétation.
Mesure protectrice pour la plante
La bonne constitution de cette couche liégeuse sur la cicatrice des feuilles est essentielle pour la protection au froid, mais aussi pour se prémunir de l’entrée de certains pathogènes. Dans des conditions climatiques peu favorables, il est parfois effectué des traitements spécifiques pour protéger et favoriser la cicatrisation de cette zone d’abscission
Conjointement à cette chute foliaire, les cellules des parties ligneuses vont se protéger du gel en se déshydratant (d’où la diminution des diamètres des bois en hiver) et en stockant des substances cryoprotectrices (protéines et sucres) qui abaissent le point de congélation cellulaire. Certains auteurs estiment que les irrégularités de production, ou alternances, sont accentuées par la sensibilité au gel : la trop forte charge d’une année ne permettant pas au végétal de stocker une quantité suffisante de glucides dans les bois pour bien résister au gel. Sur une variété facilement alternante, comme golden chez la pomme, le niveau de réserves glucidiques dans un rameau peut ainsi varier d’un facteur 1 à 4 selon le niveau de charge de l’année antérieure !
A l’automne, la séparation de la feuille du reste de la plante se fait progressivement sous contrôle enzymatique et hormonal, essentiellement en fonction du photopériodisme. Selon les années, cette chute des feuilles est plus ou moins précoce. Ce n’est pas sans conséquence sur la mise en réserve du végétal.
Recyclage automnal
Lorsque l’abscission des feuilles se prépare, cela se traduit par une évolution des couleurs du feuillage, qui coïncide avec une phase importante de recyclage des composés présents. Ce sont principalement le carbone et l’azote, issus des chlorophylles et protéines, qui sont transférés vers les parties ligneuses pour y être stockés.
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Ce recyclage peut représenter plus de 85% de l’azote foliaire. Il semble peu influencé par le niveau de nutrition azotée. Par contre une trop faible concentration azotée foliaire conduit à une moindre remobilisation au printemps suivant. Une chute ou une dégradation trop rapide des feuilles par le gel pénalise cette mise en réserve. Des attaques parasitaires ou des traitements phytosanitaires agressant le feuillage ont les mêmes conséquences. On a pu observer ainsi, dans des sarments de vigne de la même parcelle, des écarts de 1 à 3 en concentration azotée entre la zone gelée et la zone indemne.
Effet des automnes tardifs
Tandis que les modèles climatiques nous prédisent des maturations de plus en plus précoces (voir à ce sujet le rapport du programme CLIMATOR de l’ADEME), les évolutions climatiques entraînent dans certaines régions des chutes de plus en plus tardives des feuilles.
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Jusqu’à présent, les différentes études menées sur ce sujet montrent que la mise en réserve ne serait pas pénalisée, les feuilles adultes étant peu consommatrices (dans la mesure où le gel qui les fera chuter n’est pas trop brutal). Par contre, il est essentiel que cette persistance végétative ne se traduise pas par une reprise végétative qui consommerait une partie des réserves des bois préalablement stockées pour l’année suivante. Les éventuelles techniques de post-récolte (gestion de l’irrigation s’il y a lieu, protection phytosanitaire, soutien foliaire, apport minéral au sol…) doivent donc viser uniquement un maintien végétatif et sont à utiliser avec prudence. De même, il est probable que ces changements météorologiques vont obliger certains producteurs à apprendre à faire chuter les feuilles (par exemple pour les fruits à noyau dans le Sud Est), le climat ne permettant plus un arrêt végétatif correct, au risque de pénaliser le potentiel de production. Il est alors essentiel de bien respecter une progressivité dans les stress appliqués aux arbres.
La mise en réserve commence dès le début de l’été mais seul l’azote présente la possibilité d’être « sur-assimilé » en fin de cycle. Pour les autres éléments minéraux il n’y a pas ou très peu de compensation possible. Il en est de même pour les réserves glucidiques (amidon). Pour la reprise végétative du printemps suivant, les stress les plus à craindre sont donc ceux que subit l’arbre ou la vigne en été : sécheresse, canicule, défoliation, attaque parasitaire, excès de charge….. Une chute foliaire estivale se traduira directement par une augmentation de la sensibilité au gel hivernal, un débourrement retardé et hétérogène et une moindre densité de feuillage et/ou de charge.
Outils à la disposition du conseil
La chute des feuilles, sous nos climats tempérés, s’inscrit donc bien dans un programme établi voisin des phénomènes d’apoptose et apparaît nécessaire à la majorité des plantes pérennes pour la résistance aux difficultés hivernales et pour la préparation de l’année suivante. Le déroulement de ce phénomène est un facteur de variabilité des réserves glucidiques et minérales de l’arbre ou du cep qui vont influer sur l’état végétatif et la production des années suivantes. Il est donc nécessaire de le prendre en compte dans la lecture et l’interprétation des analyses de bois.
Les analyses de rameaux ou sarments présentent la particularité, par rapport aux autres analyses de végétaux, de prendre en compte les réserves en glucides, sucres et amidon, qui forment pondéralement l’essentiel des composés mis en réserve. Par ailleurs, leur prélèvement en fin de cycle (période de repos végétatif) permet d’avoir un reflet pertinent et stable des réserves. Les autres analyses de végétaux (limbes, pétioles, baies) vont indiquer un éventuel état de stress au moment du prélèvement (notamment des difficultés estivales), à même de pénaliser la mise en réserve, mais seule l’analyse de bois peut en faire un constat exact.