La fertilisation organique des substrats
L’efficacité des engrais organiques azotés pour les cultures de pleine terre est de mieux en mieux connue, grâce aux nombreux essais de plein champ et aux tests de laboratoire. La fertilisation organique se développe également pour les cultures hors sol (horticulture, maraichage, pépinière), notamment par la demande du consommateur de réduire l’usage d’intrants de synthèse. Le maintien d’un taux de TVA intermédiaire à 10% , applicable depuis le 01/01/2014 pour les matières fertilisantes d’origine organique agricole, n’ira pas à l’encontre de cette évolution. Mais les références acquises en pleine terre peuvent-elles être transposées aux substrats ? Quels paramètres doivent être pris en compte pour optimiser l’efficacité azotée d’un engrais organique dans un substrat ? Nous allons apporter des éléments de réponse basés sur les récentes études menées par l’Institut technique de l’horticulture en collaboration avec AUREA .
- La terre, un substrat comme les autres ?
En pleine terre, la minéralisation de l’azote organique de l’engrais est réalisée par les micro-organismes du sol, libérant ainsi l’azote minéral (ammoniacal et surtout nitrique) que la plante pourra ensuite assimiler. Pour une libération d’azote minéral optimale, les conditions de milieu doivent être favorables au développement des micro-organismes : température clémente, sol ressuyé, pH neutre à légèrement basique, bon contact entre les micro-organismes et les engrais). Dans un support de culture, ces paramètres peuvent être radicalement différents des conditions optimales des micro-organismes :
- Tout d’abord, le substrat est un milieu relativement inerte, avec peu ou pas d’activité biologique. C’est d’ailleurs une propriété recherchée, car le substrat est avant tout un support, qui doit se dégrader le moins possible dans le temps.
- Ensuite, les amplitudes de variation de la température et de l’humidité au sein du substrat peuvent être très importantes, suivant le mode de conduite (gestion de l’irrigation notamment). Cela peut limiter la minéralisation de l’engrais, mais également occasionner des libérations brutales d’azote minéral lors de variations soudaines de température et d’humidité.
- La nature même du substrat peut impacter la minéralisation de l’azote. Le pH optimum pour la majorité des cultures se situe autour de 5.8 à 6, ce qui peut être limitant pour les micro-organismes nitrifiants. Au niveau physique, la granulométrie de certains substrats peut être relativement grossière, ce qui limiterait les surfaces de contact entre l’engrais organique et les micro-organismes. Ces contraintes spécifiques aux supports de culture justifient des études appropriées, s’appuyant sur des outils analytiques pertinents.
- Adapter pour mieux quantifier
La méthode normalisée d’estimation du potentiel de minéralisation azote des amendements organiques ([XP U44-163]titre du lien) ou des engrais organiques (XP U42-163) est basée sur une incorporation du produit broyé dans une terre de référence. Ces conditions expérimentales ne permettent pas de rendre compte des spécificités des supports de culture. Pour répondre à la problématique des substrats, une méthode dérivée a été mise au point, notamment par aurea : l’engrais organique, non broyé, est incorporé dans un substrat de référence à la dose d’usage. L’évolution du stock d’azote minéral est obtenue par extraction aqueuse, et peut être comparée aux mesures faites pour les contrôles en cours de production. Cette méthode a permis de mettre en évidence plusieurs phénomènes spécifiques aux supports de culture. Des essais ont été menés par différentes stations de l’ASTREDHOR. Plusieurs points importants ressortent de ces essais.
- 1er enseignement : nécessité d’une bonne activité biologique
L’étude des cinétiques d’évolution de l’azote minéral révèle que l’azote ammoniacal peut être la forme dominante sur le premier mois d’incubation à 28°C (ce qui peut correspondre à 2 à 3 mois en conditions de culture, en fonction des conditions de température du milieu). L’ammonification (transformation de l’azote organique en azote ammoniacal) se déroule donc sans problème, mais la nitrification (transformation de l’azote ammoniacal en azote nitrique) peut être limitée, notamment dans certains terreaux. Cela peut être fortement influencé par l’humidité à laquelle se trouve le terreau, en relation avec la gestion de l’irrigation.
Ce phénomène est peu fréquent dans les sols agricoles. Dans certaines conditions expérimentales, cette potentielle inhibition de la nitrification semble levée lorsque que de la terre est ajoutée au mélange substrat / engrais (10 % en volume). La terre agricole étant naturellement pourvue en micro-organismes, il est possible que ce blocage de nitrification soit dû à une activité biologique insuffisante.
L’ajout d’un inoculum dans le substrat apparaît nécessaire pour valoriser le potentiel d’un engrais azoté organique : terre agricole à forte charge microbienne, compost, ferment, micro-organismes… Des études restent à faire pour comparer l’efficacité des différents inoculums.
- 2ème enseignement : importance du facteur climat
Le suivi en serre des teneurs en azote minéral d’un substrat fertilisé avec un engrais organique révèle des profils cohérents avec les résultats des cinétiques de minéralisation en laboratoire : dans les cas où l’azote ammoniacal est prédominant au début de la cinétique de minéralisation en laboratoire, on observe le même comportement au niveau des essais en serre, avec un décalage dans le temps dépendant des températures. Le climat impacte très fortement la nitrification, la transformation étant beaucoup plus rapide pour un apport d’avril. La dominance de l’azote ammoniacal en début de culture peut poser des problèmes d’intoxication ammoniacale, qui sont de plus favorisés en conditions froides. La gestion de la température de culture doit donc être prise en compte dans le raisonnement de la fertilisation organique.
- 3ème enseignement : raisonner le couple engrais organique / substrat
La grande diversité des supports de culture engendre également une variabilité de la minéralisation des engrais organiques. Le comportement d’un même engrais sera différent dans un substrat motte (plus fin) ou pépinière (plus grossier). La granulométrie du substrat a donc un impact non négligeable. De même, la nature des matières premières ainsi que leur proportion peut influencer le devenir des engrais organiques dans un terreau. L’efficacité d’un engrais organique ne peut donc pas se raisonner seule. Il faut tenir compte du substrat dans lequel il sera incorporé et notamment de sa capacité de rétention en eau et en air à pF1. Ces premiers essais ont montré la pertinence d’adapter la méthode d’incubation aux supports de culture. Les travaux doivent être poursuivis pour compléter la compréhension des phénomènes. La constitution d’une base de référence pour quelques substrats types sera une étape incontournable.